Amphigouri, vous avez dit « amphigouri » ?
Synonyme obscur de « galimatias », le terme « amphigouri » est fidèle à l’objet qu’il décrit, un écrit ou un discours volontairement confus ou inintelligible, souvent à visée burlesque. En clair, il s’agit d’un texte ou discours tarabiscoté (là aussi, le terme annonce son contenu) et délibérément incompréhensible. On en trouve de très beaux exemples en littérature, notamment dans le Médecin malgré lui du grand Molière. Peut-être qu’en lisant ce vocable, vous aurez tout de suite à l’esprit un voisin ou un collègue dont vous avez du mal à saisir la pensée, si vous voyez ce que je veux dire…
Calembredaine : comment tromper son public
Dans ses échanges quotidiens, on ne peut guère passer à côté des calembredaines. Le mot est sans doute dérivé de « calembour » (jeu de mots) et de « bourde » (plaisanterie ou mensonge). Les calembredaines sont donc soit des propos frivoles et absurdes, c’est-à-dire des paroles creuses ou dénuées de sens, soit des histoires extravagantes ou trompeuses. Vous avez sans doute déjà rencontré une personne débitant régulièrement des calembredaines, des balivernes ou autres sornettes. En tout cas, rien que pour le plaisir d’entendre ses sonorités rieuses, ce terme gagnerait à être utilisé plus souvent.
Callipyge : oh les belles fesses !
À notre époque où une bonne partie de la population fréquente les salles de fitness, il est fort dommage que l’adjectif « callipyge » soit pratiquement tombé dans l’oubli. Venu tout droit du grec ancien (« kallos » désignant la beauté et « pugê » les fesses), ce terme est aujourd’hui presque indissociable de la déesse de l’amour aux formes idéales. Les esthètes parmi vous devront aller jusqu’à Naples pour admirer la statue antique de la Vénus callipyge. Les autres pourront se contenter d’utiliser l’adjectif, y compris de manière ironique, pour désigner une personne ou un objet aux formes plantureuses, des fruits charnus et ronds bien appétissants, par exemple.
Consoude : comme son nom l’indique
Certains mots sont tout simplement transparents. C’est le cas de la consoude, également appelée « herbe aux charpentiers », « herbe à la coupure », « oreille d’âne » ou encore « langue de vache ». Plante herbacée vivace et rustique originaire d’Europe et d’Asie septentrionale, la consoude est particulièrement appréciée pour ses propriétés médicinales. On l’utilise depuis des siècles pour ses vertus calmantes, cicatrisantes, diurétiques et expectorantes. Elle aide donc à consolider ce qui a besoin de l’être sur le plan physique (les fractures) ou psychique (les blessures de l’âme). On peut aussi l’utiliser en cuisine, dans les salades, les soupes ou les smoothies, par exemple. Vous reprendrez bien un peu de consoude ?
Emboconner : ouvrez la fenêtre !
Ce verbe est issu du vieux français « emboucaner », dérivant lui-même probablement du verbe « boucaner », qui signifiait à l’origine « fumer des aliments ». Vous vous en doutez, « emboconner », c’est « puer comme un bouc », un animal connu pour son odeur forte et désagréable. Il signifie donc « sentir mauvais », « empester » ou encore « cocotter », bref, tout le contraire de « sentir la rose ».
Fanfreluches : futiles, mais si jolies…
Souvent utilisé au pluriel, ce nom désigne au sens propre essentiellement des ornements de toilette ou d’ameublement légers et décoratifs comme des nœuds, des dentelles, des volants ou des pompons. Son étymologie est particulièrement intéressante : le mot remonte à l’ancien français « fanfelue », signifiant « bagatelle », dérivé du bas latin « famfaluca », lui-même issu du grec « pomphòlyx », ces deux derniers termes signifiant… « bulle d’air ». Cela nous renvoie directement au sens figuré du terme, qui désigne des futilités, c’est-à-dire des choses sans importance sur lesquelles on ferait mieux de ne pas s’attarder.
Lipogramme : comment faire sans
Les littéraires parmi vous connaîtront le terme : le lipogramme est une figure littéraire consistant à rédiger un texte en s’interdisant délibérément l’usage d’une ou de plusieurs lettres de l’alphabet. Ce phénomène est connu depuis l’Antiquité. Plus proche de nous, La Disparition de Georges Perec est un exploit, car ce roman publié en 1969 a été écrit sans utiliser la lettre « e », la plus fréquente en français. Les traductions de cet ouvrage sont également des lipogrammes rédigés en omettant la lettre la plus fréquente de la langue cible… De véritables prouesses !
Palimpseste : faire du neuf avec du vieux
Ce mot devrait ravir toutes les personnes adeptes du recyclage. Il désigne en effet un manuscrit sur parchemin ou papier dont on a effacé le texte original (en le grattant, par exemple) pour y écrire de nouveau. Cette pratique fut courante au Moyen Âge, notamment entre le VIIe et le XIIe siècle, car à l’époque, les monastères occidentaux ne pouvaient plus compter sur les importations de papyrus du fait de la domination musulmane en Égypte. On utilise également le terme au sens figuré, en littérature comme en psychologie, en géographie ou en architecture. Ainsi, un palimpseste est un modèle caché dont on décèle l’influence dans une œuvre, et c’est aussi un paysage gardant des traces d’aménagement antérieur.
Tartempion : l’autre Monsieur Tout-le-monde
Ce terme familier et péjoratif désigne une personne quelconque dont on ne connaît pas le nom, à moins qu’on ne l’ait oublié ou qu’on ne souhaite pas le mentionner. Il peut également désigner une personne lambda ou un individu quelconque dans un contexte générique : « Monsieur Tartempion, le citoyen moyen ». Ce nom est d’origine satirique, il a souvent été utilisé dans des contextes humoristiques pour caricaturer des personnes moyennes ou ridicules. Aujourd’hui, on l’emploie surtout dans un registre familier ou moqueur, avec une nuance d’ironie. On pourra lui préférer des synonymes tels que « machin », « trucmuche » ou « bidule », sans oublier « pékin ».
Xénisme : oh mon bel étranger
Si vous voulez briller un soir en société avec des collègues, débrouillez-vous pour utiliser « xénisme » de manière détachée, comme si le terme faisait partie de votre vocabulaire actif depuis toujours. Vous l’aurez deviné, il est originaire du grec ancien « xénos », signifiant « étranger », comme dans la tristement répandue « xénophobie ». Contrairement à un emprunt lexical, qui assimile un mot d’origine étrangère (comme « anorak », de l’inuit, ou « chocolat », de l’aztèque via l’espagnol), un xénisme est un terme étranger utilisé tel quel dans la langue d’accueil. C’est par exemple le cas de « sushi », de « pub » (le bar anglo-saxon) ou de « souvlaki » (spécialité grecque) en français. Notre « bistrot » est quant à lui un xénisme en anglais. Il s’agit donc pour ainsi dire de purs produits d’importation !
Zinzolin : de toute beauté
Terminons sur une note colorée : le mot « zinzolin » désigne en littérature une couleur rare décrite comme un violet rougeâtre délicat ou un rouge sombre. On parlera par exemple d’un taffetas zinzolin. On utilise parfois le terme pour évoquer quelque chose de raffiné, de délicat, voire d’excentrique. Sa sonorité évocatrice est à elle seule une raison de ne pas le laisser tomber entièrement dans l’oubli. Allez, faisons-en notre nouvelle couleur préférée !
Conclusion : mots anciens, perspectives nouvelles
La langue est vivante et en perpétuelle évolution. De nombreux mots anciens sont définitivement passés de mode, et pourtant, partir à leur découverte est toujours, a fortiori pour nous linguistes, un véritable enchantement et une manière de cultiver notre vivacité d’esprit. D’« amphigouri » à « zinzolin », chacun de ces mots a une longue histoire qui peut nous inciter à mettre un peu de légèreté et de gaieté dans notre pratique quotidienne de la langue. Peut-être est-ce même l’occasion d’intégrer ces trésors du passé à notre lexique et, la prochaine fois qu’un collègue vous racontera des calembredaines, de lui signaler que vous ne comprenez rien à cet amphigouri. De quoi le laisser bouche bée !
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